❄︎ santa secret. (becca/flashback)

Mais dans quoi June s'était-elle encore embarquée ? C'était un de ses collègues, en réunion commerciale, qui lui avait soufflé l'idée. Dans son centre, il le mettait en place chaque année, et tous les employés jouaient le jeu. June avait répondu qu'il y avait déjà un panier garni à Noël, aux frais de la société, mais paraît-il que ce n'était pas pareil. Tout le monde chercherait à savoir quel nom elle aurait tiré. Ce n'était que £10, dans le pire des cas. Mais, maintenant qu'elle devait acheter le cadeau, elle doutait franchement du bien-fondé de cette tradition. Si on l'attendait au tournant, elle n'allait quand même pas offrir une boîte de chocolats. Un bouquet de fleurs ? Pas sûre qu'il pense à l'arroser tous les jours. Il le donnerait d'ailleurs sûrement à sa femme en rentrant chez lui le soir. Les clichés avaient la vie dure dans l'automobile. Oh, et puis merde, elle ne passerait pas son après-midi à courir les boutiques. June décida de se rendre dans sa librairie préférée. Elle refilerait la patate chaude à Becca. En plus, elle était presque sûre qu'elle lui ferait un emballage cadeau aux petits oignons. Ça finissait toujours par l'agacer quand elle se rendait compte que le papier se déchirait — qu'elle tire trop dessus était inconcevable. Elle poussa la porte en soufflant l'air froid du dehors. Il y avait quelques clients assis dans les fauteuils, d'autres furetant entre les étagères, mais tous diablement occupés. June s'approcha du comptoir derrière lequel se tenait Becca. "Bonjour ! Vous allez bien ?" Ici, elle était tout sauf la June qu'on connaissait. Souriante, affable et badine. En même temps, elle commençait à avoir ses habitudes. "Il faut vraiment que vous m'aidiez." Malgré tout, sourires et connivence, elle s'en tenait à ce vouvoiement un peu ampoulé. "On fait le Père Noël secret, cette année. Mais, je vous arrête tout de suite, je ne pense pas qu'il soit expert de Dickens ou quiconque." Elle le voyait mal, les mains dans le cambouis, lire son David Copperfield. Déjà, il aurait été en faute. Enfin, on n'était pas là pour ça.

La jeune femme était seule pour faire l'ouverture. Cela lui convenait très bien, elle aimait arriver plus tôt, préparer la boutique. Vérifier que tout était en place. Partir les machines à café, allumer quelques bougies pour l'ambiance. Elle avait même un peu le temps pour de la lecture. Elle lisait ces jours-ci La fille du roi des marais, de Karen Dionne. Grande adepte de lecture, Becca avait l'impression de vivre le rêve. Avoir ouvert une librairie avait été son lot de stress mais était aussi la plus belle décision qu'elle avait prise. Bien sûr qu'elle avait dû s'organiser, travailler très fort, suivre des formations sur la gestion d'entreprise, elle en avait fait des nuits blanches au début. Mais les affaires allaient bien depuis quelques années et elle pouvait pleinement profiter. Lorsque fut le temps d'ouvrir la boutique, elle n'attendit que quelques minutes avant le premier client. Elle se montrait disponible sans être trop dans la bulle des gens. Lorsqu'on lui posait question, elle répondait au mieux de ses connaissances. Elle avait fait payé un client, qui s'en était allé rejoindre sa femme assise sur un des fauteuils près de la fenêtre. Une jeune femme arriva au comptoir à la suite. Elle la reconnut aussitôt. June, une habituée de la librairie, lui demandant de l'aide. "Bonjour, oui je vais bien merci! et vous?" disait-elle, avec un grand sourire. Il était très important pour Becca d'offrir un service impeccable, à tous. June semblait désemparée, elle lui expliqua qu'elle était à la recherche d'un livre pour un échange de père noël secret. C'était bel et bien la période, la plupart des gens venaient pour offrir un livre en cadeau. "D'accord... et savez-vous quels sont ses intérêts? Nous avons non seulement des romans fictifs, mais nous avons aussi des encyclopédies, des bandes dessinées, des autobiographies, des livres de cuisines!" Cela pouvait paraitre évident, mais Becca préférait le préciser.

@June Berkeley

Sa libraire était un soleil. June ne croyait pas particulièrement aux énergies mais elle sentait bien les vagues d'ondes positives qui l'accueillaient ici, et ce serait mentir que de dire qu'elle n'y était pas sensible. De façon générale d'ailleurs, qu'elle le veuille ou non, elle était impactée par tous les phénomènes naturels qui se produisaient, la pleine lune l'empêchait toujours de dormir. Mais, parler d'elle, June n'aimait vraiment pas. Ce n'est pas comme si elle avait beaucoup à dire de sa vie. June parlait de ses idées, de ses réflexions, jamais du temps qu'il avait fait la veille, et qui lui avait permis ou non d'aller se balader, balade au cours de laquelle elle aurait croisé un petit oiseau blessé qu'elle se serait bien sûr empressée d'emmener chez le vétérinaire, au fait, tiens-toi bien, il ne portait pas d'alliance, je crois que je lui ai plu, on a même prévu de se revoir. Superficiel. Tout ce qu'il y avait d'artifices sur elle, sur son visage, c'était son anti-cernes. Ça lui donnait bonne mine. Et les gens ne posaient pas de questions. "Je ne sais pas si vous vous souvenez, la dernière fois, j'ai voulu essayé un Ken Follett, j'y suis encore. C'est dense, ce truc !" Tout juste si elle ne s'endormait pas dessus. Il lui fallait toujours relire le dernier paragraphe le lendemain. Expérience ratée. "Vos cadeaux, ça avance ?" June ne prévoyait pas grand chose pour Noël. Elle commanderait chinois, comme tous les ans, et se regarderait encore l'intégrale de Good Place. Ça ne lui prendrait pas la tête. Elle n'était même pas triste de cette situation. Noël était ce qu'on en faisait. "J'imagine que les BD, c'est autant pour lecteur que non-lecteur ? Faudrait pas qu'il se sente pris pour un con, je pourrais avoir des problèmes." En même temps, c'était un peu de sa faute, elle ne parlait pas beaucoup à ses mécanos. Elle les écoutait quand ils venaient dans son bureau mais elle ne prenait pas de leurs nouvelles — pas plus que la politesse, du moins. Ce n'était pas son genre, certes, de copiner avec ses collaborateurs, mais elle aurait aussi l'impression de franchir une limite personnelle qui pourrait se retourner contre elle. June avait peut-être l'avantage d'avoir un bon salaire mais le poids qui pesait sur ses épaules en était au moins à la hauteur.

C'était la période des fêtes, donc Becca travaillait beaucoup, elle se sentait même mal de prendre des journées de congé, même si elle avait une confiance extrême en ses employés. De plus, elle avait appris il y a quelques jours à peine être enceinte. Drew et elle gardaient le secret, préférant attendre avant de l'annoncer à la famille. Elle était si heureuse mais d'un autre côté, elle se sentait nerveuse. C'était une grande nouvelle, un changement qui allait survenir dans sa vie. Becca était prête à être maman, mais l'est-on réellement? Et Drew, dans tout ça. Il dit être heureux, mais est-ce seulement pour rassurer sa fiancée? Dans tous les cas, il allait devoir s'y faire. June était devant elle, et avait réellement besoin de son aide. June lui demanda si elle se rappelait quand elle avait acheté un livre de Ken Follett, et elle ajouta encore être entrain de le lire. "Oui, ça me dit quelque chose. C'est un auteur excellent, mais je vous l'accorde il ne se lit pas en une journée!" Elle lui demanda ensuite si elle avait terminé ses cadeaux. "Oh oui, moi je suis du genre à m'y prendre à l'avance. Je commence toujours mes cadeaux durant le mois de septembre, quand je prends mes vacances. Et non, ce ne sont pas toujours des livres." On pourrait croire que comme elle travaille dans la librairie, c'est le seul genre de cadeau qu'elle offre, mais ce n'est pas le cas. Oh, bien sûr elle en offre, mais seulement aux amateurs de lecture. Becca aime offrir des petits cadeaux personnalisés à chacun. Elle réfléchit bien, cherche le cadeau parfait. Elle accompagne aussi le cadeau d'une belle carte faite à la main. Elle adore les fêtes. Becca avait proposé à June plusieurs types de lectures qui pouvait se trouver dans la librairie. "Nous avons des bandes dessinées pour adulte, je elles sont très populaires. Vous voulez que je vous montre la section?" Elle voyait qu'un de ses vendeurs venant tout juste d'arriver était déjà occupé avec un client.

La vie était marrante, des fois. Un enchaînement de choses qui ne faisaient pas toujours sens, en tout cas, pas tout de suite. Adolescente, elle ne se serait jamais imaginée fréquenter les librairies, encore moins avoir de bonnes relations avec une autre femme, qu'importe qu'elle soit libraire et elle cliente. Jusqu'à la fac, June avait toujours eu très peu de contacts avec le sexe féminin, le minimum, parce qu'elle ne s'intéressait pas à la même chose. Même à l'université, d'ailleurs, elle ne participait pas plus aux soirées étudiantes, ne travaillait pas en groupe, et mangeait dans une salle de classe dans son coin. On en revenait au même problème : elle n'avait rien à leur dire. Sûrement que, dans un autre contexte, elle n'aurait jamais adressé la parole à Becca. Alors, soit c'était bien un effet boule de neige, soit, aussi et simplement, le pouvoir de la littérature. Les mots plus forts que les armes. Ça, June l'avait bien compris. Elle qui, de toute façon, ne savait pas se battre. Elle ne croyait pas au sens caché des gestes. Ça la faisait même rire, souvent, quand elle lisait que tel geste était synonyme de séduction. Qui pouvait se prétendre télépathe pour savoir que, là, on cherchait à plaire à un type qui en vérité ne correspondait en rien à ce qu'on recherchait, sous prétexte qu'on se passait la main dans nos cheveux ? Ou qu'on se grattait derrière l'oreille, ça marchait aussi. June le faisait tout le temps. Le nombre d'hommes qui l'attiraient était au moins aussi élevé que la population de la Chine ! Non, mais. Et là, c'était le déclic dans sa tête. "Un livre sur ce qu'on aimerait dire à quelqu'un, vous auriez ça ?! Un roman, n'importe quoi. Une belle histoire sur des choses qu'on pense mais ne peut pas dire !" Le message ferait très Noël. Bon, elle risquait aussi de se faire traiter de petite nature, mais ça ne serait pas pire que quand elle avait annoncé le Père Noël secret. Et puis, si à Noël elle ne pouvait pas se montrer un peu plus douce, quand d'autre le ferait-elle dans l'année ? Ce n'était pas un monstre, après tout. Elle voulait des résultats, mais elle avait un coeur. De temps en temps, c'était important de le rappeler. Elle aussi, aimerait mettre une rose dans le vase qui prenait la poussière chez elle. À défaut, elle mettait de l'encens, ça sentait fort, mais ça sentait bon. "Je n'offrirais pas non plus de bon pour une révision." Avec tout ça, elle l'aurait presque mis dans le vent. "Je ne vous avais peut-être pas dit, que je travaille dans l'automobile ?" Non, peut-être pas. Mais, pour ceux qui y étaient étrangers, c'était rasoir. "Ce n'est pas aussi propre qu'ici. Ça sent le pneu plus que l'encre. D'ailleurs, je dois en avoir en rab si un jour il vous faut une balançoire." Accroché à une corde, ça faisait très bien l'affaire. Un peu mal aux fesses mais tout de même beaucoup plus rigolo.